Abstracts
here.
STUDIA UBB EUROPAEA, LVI, 3, 2011
Despina Angelovska
Intimité
communiste de Jasna Koteska: revendication
de justice transitionnelle
Introduction
Intimité communiste (2008)[1]
est le dernier livre de l' essayiste et théoricienne macédonienne, Jasna Koteska.[2]
Celle-ci est la fille du poète dissident Jovan Koteski (1932-2001), qui a passé
quarante deux ans de sa vie sous la surveillance des services de la police
secrète de l'ancienne Fédération yougoslave et deux ans en prison. En 1985,
quelques années seulement avant la désintégration de la Fédération yougoslave –
qualifiée souvent comme le pays le plus libéral de l'ancien bloc de l'Est - qui
aura lieu en 1991, à l'époque où, paradoxalement, le groupe de musique slovène Laibach, avec
son iconographie nazie et nationaliste délibérément provocante, est un des
groupes de musique les plus populaires du pays, Koteski a été condamné à 5 ans
de réclusion, sous l'accusation d'avoir œuvré secrètement à la destruction de
la Yougoslavie et à la création d'un État macédonien indépendant (la guerre en
ex-Yougoslavie débutera et la Macédoine proclamera son indépendance par
Référendum seulement cinq ans plus tard).
Reflétant ainsi le vécu intime de l'auteure elle-même, Intimité
communiste de Jasna Koteska analyse la phénoménologie du communisme au vingtième
siècle, mettant un accent particulier sur son application yougoslave et
macédonienne. Koteska place également au cœur de son argumentation, le livre
culte de l'essayiste et philosophe de l'ancienne Yougoslavie, Radomir Konstantinovic,[3]
La philosophie de bourg (1981),
et se penche plus spécifiquement sur la version provinciale du communisme
macédonien, qui se caractérise, selon elle, par la tyrannie de l'esprit
provincial mélangée à celle des services secrets.
Prenant comme point de départ de notre réflexion l'analyse de Koteska de
la tyrannie petit-bourgeoise du communisme macédonien, dont le bilan et
mécanismes sacrificiels n'ont pas été vraiment appréhendés en Macédoine, dans
ce texte, nous allons élargir nos considérations sur le processus de
lustration actuellement mis en place
dans ce pays. En effet, dans le contexte macédonien d'aujourd'hui, construit
sur les débris d'un passé communiste rapidement balayé, et où la société transitionnelle,
sur son chemin vers l'intégration à l'UE, se heurte au risque d'une amnésie
culturelle et politique, nous réfléchirons ici sur le besoin essentiel
d'affronter le passé afin de ne pas répéter les mêmes erreurs et de développer
des instruments de justice transitionnelle. Plus encore, en adoptant le point
de vue des victimes non-reconnues de la machine sacrificielle communiste en
Macédoine, ce texte rejoindra et développera la réflexion, initiée par aussi
Koteska dans Intimité communiste, autour de la question politique
essentielle des vies dont le deuil n'a pas le droit de cité. Se tournant vers
les sujets abjects et impropres du communisme, vers ceux qui ont été exclu de
la « famille » monopartiste, voire de l' humanité,
cette contribution, finalement, dénoncera les mécanismes de violence
« sanitaire » du communisme macédonien, dont la logique de
surveillance et de nettoyage semblent encore mouvoir la Macédoine
d'aujourd'hui.
1. Communisme et esprit de bourg
1.1. Services secrets et provincialisme
L'esprit de bourg est la clé de l'interprétation de Koteska du
communisme macédonien dans son livre Intimité communiste. Plus encore, elle
y dévoile le lien étrange et inattendu entre l'obsession de la transparence
dont se nourrit l'esprit petit-bourgeois et les services secrets communistes.
En effet, le secret et l'inintelligibilité dans lesquels opèreraient
les agents de l'UDBA semblent être à l'antipode de la tyrannie de la publicité[5]
et de la transparence incarnée par l'esprit provincial. L'auteure explique ce
paradoxe apparent en disant qu'en fait la publicité est déjà incorporée dans la
vie même de l'UDBA : 'La publicité est l'essence fondamentale de la
police secrète et celle-ci ne peut travailler que tant qu'elle censure cette
fonction qui est la sienne, que tant qu'elle « cache » l'axe autour
de laquelle oscille le désir de l'UDBA».[6]
Koteska pousse sa réflexion encore plus
loin en disant que la publicité la plus vulgaire est la raison même de
l'existence des services secrets. Ainsi, pour pouvoir fonctionner et rester
« secrète », l'UDBA avait besoin de toutes ses connaissances, tous
ses pistons, tous ses informateurs, du soutien public tout court.[7]
Ce sont justement les petits-bourgeois qui étaient les plus grands supporteurs
de l'UDBA.[8]La
mentalité petite-bourgeoise et la logique provinciale de vouloir tout savoir
sur tout le monde, le communisme (macédonien), selon Koteska, les a trouvés sur
place et les a incorporés à son avantage.[9]
Selon l'auteure, le communisme a réussi à s'installer seulement dans des pays
mi-développés à l'esprit provincial et cela venait du fait que la révolution
communiste devait son succès aux services secrets qui correspondaient
idéalement à l'esprit de bourg.[10]
1.2.
L'Intimiste
Se tournant vers l'analyse de la tyrannie de la publicité, ainsi que
vers la censure de l'intimité et de l'individualité opérée par le communisme,
Koteska prend comme point de départ le dossier de son père - ce poète
« politiquement incorrect », ce « sujet impropre » du
communisme - établi par les services secrets de l'ancienne Yougoslavie et fiché
sous le code de „l'Intimiste“. Plus encore, le nom chiffré donné au dossier de
son père reflète, selon l'auteure, le mélange opéré par les services secrets
policiers du communisme et de l'esprit petit-bourgeois, provincial qui
caractérisait le régime communiste dans sa version macédonienne.[11]
Il reflète la façon dont fonctionnait (et fonctionnerait toujours), d'un côté,
le « bourg » macédonien, où on donne des surnoms au gens selon
certaines de leurs caractéristiques spécifiques ou des défauts physiques, selon
un trait par lequel cette personne se différencie des autres. Mais ce trait
spécifique n'y est pas souligné en vue d'être reconnu ou respecté, mais plutôt
pour être ridiculisé et pour s'en moquer, afin d'être constamment présent à
l'esprit de bourg qui se souvient de tout, qui ne laisse rien passer inaperçu.[12]
Le communisme, nous dit Koteska, procédait de la même façon en opérant une
similaire et simpliste théâtralisation des gens : « Les personnes y
deviennent une simulation, vidées de leurs contenus, comme des dés dans le jeu
du communisme, des rôles clichés de la Commedia dell Arte dispersés sur la
grande scène de la vie, où se déroule la lutte entre le bien et le mal ».[13]
1.3. Les écrivains- informateurs
Dans Intimité
communiste, Koteska dévoile un paradoxe au cœur du système : d'un côté
le communisme macédonien à l'esprit provincial détestait l'intimité
constitutive de la poésie et déclarait les poètes-intimistes (tel son père)
ennemis d'État, mais, en même temps, le dossier de son père est peuplé de
poètes-informateurs.[14]
Elle prête une attention particulière à l'analyse de la collaboration des
poètes et écrivains macédoniens avec les services secrets communistes. En
effet, l'ouverture des dossiers de la Sécurité d'État en 2000 ont révélé des
données choquantes sur l'implication des poètes et écrivains macédoniens au
service de la police secrète : « Dans le dossier de mon père il y a
un défilé terrible de poètes morts et vivants, de littéraires, de gens de
passage – et de policiers. Le monde du dossier de mon père est une combinaison
obscène d'écrivains macédoniens et de policiers, qui très souvent fusionnent
dans la même personne. C'est un monde dans lequel vous n'avez plus de repères
d'amitié stables. La plupart de vos « amis », collègues et écrivains
sont là pour encercler le gibier. Tout le monde prête l'oreille. Même les murs
ont des oreilles ».[15]
Se penchant attentivement sur le phénomène de la diffusion et intrusion
perfide du pouvoir communiste et de ses services secrets au cœur même de
l'intimité, Koteska explique la contribution des écrivains-policiers aux
services secrets et leur servilité perverse aussi par le sadisme terrible qui
faisait se mouvoir la culture macédonienne désireuse de satisfaire les appétits
insatiables du pouvoir et de la police.[16]
Mais le poète-informateur n'est pas uniquement motivé par son petit désir
sadique, ce qui fait se mouvoir le poète-espion est également la possibilité
inhérente d'atteindre un « sens nouveau », d'accéder à
l'immortalité : « L'espion est venu de nulle part. Et il a la
possibilité de devenir un dieu de la poésie ».[17]
Ce qui rapprochait la police secrète et les poètes macédoniens, c'est que les
deux groupes aimaient le pouvoir, se complaisaient dans leur rôle de
missionnaires, avaient des frustrations créatives, détestaient le monde
petit-bourgeois et ne pouvait pas discuter de leur travail avec les simples
mortels.[18]
Jovan Koteski, le poète dissident, a été libéré de prison non pas à
cause des réactions de ses collègues écrivains macédoniens, qui sont restés
muets, mais à cause des réactions de l'écrivain croate Predrag Matjeevic et du
poète américain Allen Ginsberg, venu en Macédoine
comme lauréat du Festival poétique de Struga. Matvejević
était à l'époque président du PEN yougoslave. Il organisa une pétition
recueillant les signatures des écrivains du monde pour la libération de
Koteski. Grâce aux lettres adressées par lui à la Cour de Skopje et la Cour
fédérale yougoslave, Matveejević obtient la libération expresse du poète en
1987. Matveejević exprime sa stupéfaction face au manque de réaction des
écrivains macédoniens et des associations d'écrivains macédoniennes, en
indiquant aussi que le tribunal a jugé Koteski à huis-clos.[19]
L'initiative de Matveejević et de
Ginsberg ne trouva pas d'écho auprès des poètes macédoniens, et cela prouve,
selon Koteska, que même si les choix moraux étaient possibles, surtout pour les
intellectuels, dans les années 80 en Macédoine, ces derniers choisissaient quand
même de rester « neutres » - neutralité dénoncée, cependant, par l'auteure d'Intimité communiste comme étant un choix problématique du point de vue éthique, par lequel
on choisit la position confortable d'être du côté du plus fort. [20]
2. Communisme et trauma
2.1. Faire face au traumatisme
personnel
Même si Intimité communiste a été écrite à la mémoire de son
père, il n'est pas une biographie de Jovan Koteski, car « de toutes les
personnes sur la terre, ce sont nos parents que nous connaissons le moins ». Ce
livre est avant tout un témoignage sur la façon dont le communisme et l'esprit
petit-bourgeois ont fait mal à Koteska elle-même : « Mon père voulait qu'on se souvienne de ses
poèmes. Ils sont sa biographie. Ces quelques lignes sont la mienne».[22]
Ainsi, l'impulsion initiale de la création de ce livre, est avant tout
personnelle. Sans prétendre offrir une analyse totalisatrice de l'Histoire avec
un grand H, Koteska y est guidée par son propre besoin de faire face et de
résister au traumatisme personnel, à la blessure intime provoquée par ce
qu'elle analyse comme étant la version provinciale du communisme
macédonien. Rejoignant l'esprit de la
pièce Hamlet-Machine de l'écrivain allemand Heiner Muller, le livre de
Koteska répond tout d'abord au besoin d'affronter le passé et les enjeux
personnels qui y sont enfouis, d'affronter la douleur qui n'a pu être exprimée,
le deuil qui n'a pu être fait et reconnu publiquement, comme condition de la
guérison, de la réconciliation. Le désir de faire une analyse phénoménologique
du communisme et de décortiquer la logique du système, ainsi que la tentative
de répondre à la question de savoir
« de quel genre d'engineering humain on avait besoin pour mettre en
œuvre cette idéologie“,
qui constituent la trame de l'Intimité communiste, comme le dit Koteska
elle-même, viennent seulement plus tard.[24]
2.2. Le personnel est théorique, le
personnel est politique[25]
Prenant le contre-pied des préoccupations collectivistes du régime
communiste, Intimité communiste, donc, est un livre très
personnel qui a pour point de départ le vécu intime de l'auteure et de sa
famille. Il s'agit d'une œuvre que Koteska s'est refusée à écrire pendant
longtemps, n'osant pas affronter son propre passé: « Je n'ai jamais
voulu écrire ce livre, même si aucun sujet ne fut plus important pour moi. Mais
ce n'est pas nous qui choisissons les sujets, ce sont les sujets qui nous
choisissent ». [26]
Témoignant du vécu intime du communisme, ce livre est, en même temps,
une étude théorique très élaborée sur la phénoménologie du communisme mondial
et macédonien. Dans une réflexion sur le personnel et le théorique, l'auteure
affirme que les expériences personnelles représentent des avantages et non des
désavantages pour les théoriciens :
« Le sujet de ce livre est l'intimité à l'époque du communisme. Si
j'écris sur l'intimité, il est plus juste que j'écrive sur ma propre intimité
aussi. Je ne vois pas de contradiction entre la partie théorique et
personnelle. Je ne pense pas que vous puissiez écrire un bon livre sur un
concept théorique si celui-ci ne vous importe pas personnellement en même
temps. Si une chose n'est pas important
pour vous, comment voulez-vous qu'elle le soit pour les autres? (…) Je n'ai pas
écrit une saga familiale, je ne suis pas écrivaine, ce qui m'intéresse
personnellement ce sont les concepts, je travaille avec de la théorie, mais la
théorie aussi doit être personnelle pour qu'elle dise quelques chose
d'important».[27]
Aussi, la démarché théorique de Koteska dans Intimité communiste,
où le regard critique se nourrit du vécu intime et où - à l'instar de la
théorie féministe - le personnel est
politique, acquiert un objectif plus large qui est celui de jeter un regard
critique vers le passé proche de la Macédoine, afin d'établir quel a été l'impact
de l'idéologie communiste cinquantenaire sur le présent et sur les citoyens du
pays, pour ne pas rester coincé dans le passé, et pouvoir changer de cap. Le
livre de Koteska devient alors un précieux outil d'analyse du passé communiste
pour la société macédonienne actuelle qui se trouve toujours en transition et
essaye de consolider de nouveaux repères ainsi que de mettre en place une
justice transitionnelle. L'ouvrage, loin d'avoir la prétention de donner toutes
les réponses sur le régime et l'idéologie communistes, ouvre des pistes de
réflexion importantes et permet d'ajouter quelques pièces dans le puzzle qui,
dans l'analyse de Koteska, se révèle infiniment complexe.
2.3. Comprendre les mécanismes du communisme
Intimité communiste dénonce le bilan sacrificiel du régime communiste dans le monde.[28]
L'auteure tente d'y analyser les raisons de cette hypnose collective qui a
provoqué de nombreuses victimes, pour que cela ne se reproduise pas. Car, selon
Koteska, il est nécessaire de comprendre les causes et les mécanismes de
l'hypnose massive afin d'éviter la répétition des mêmes erreurs dans le
présent. Il est important que l'Etat macédonien crée des mécanismes pour
affronter son propre passé communiste sacrificiel: « Si vous avez vécu
dans une idéologie sacrificielle, la catharsis ne peut arriver comme une
catharshis personnelle, ou bien elle est collective et réconciliatrice ou
nulle ».[29]
Dans son analyse, Koteska qualifie le système communiste yougoslave
comme devenu rapidement paranoïaque, voir même auto-paranoïaque, ce qui se
reflétait surtout dans le fonctionnement des services secrets. En effet, le
système s'est rapidement divisé entre ceux qui étaient suspects et ceux qui
surveillaient les suspects. Dans une interview
consacrée à son dernier livre, réalisée en 2008, prolongeant l'analyse
critique du système communiste macédonien et de sa logique des services
secrets, l'auteure attire cependant l'attention sur le danger de la répétition
possible actuellement en Macédoine de cette violente logique de surveillance :
« Ce qui m'inquiète plus particulièrement pour la Macédoine aujourd'hui,
c'est qu'on a octroyé dans le cadre du budget 2008 des fonds énormes aux
services de renseignements. Ces service ne travaillent jamais contre l'ennemi
externe, une des idées les plus intéressantes que j'ai entendues du Directoire
C du KGB, dont la liste était constituée de noms d'espions étrangers, c'est que
l'idée principale des services secrets est la surveillance des ennemis
intérieurs. L'ennemi intérieur, qui dans le communisme existe dans tout un chacun ».[30] Récemment,
en effet, le 16 juin 2010, le Parlement macédonien a adopté une loi orwellienne
sur les communications électroniques, par laquelle le Ministère de l'Intérieur
acquérait le droit légitime de faire une violente intrusion dans l'intimité des
gens.[31]
D'après cette loi, les services du Ministère de l'Intérieur pouvaient
surveiller et intercepter les communications des citoyens macédoniens à leur
gré, n'ayant plus besoin pour cela d'un mandat
d'un juge ou d'un procureur.[32]
Cette loi, dénoncée comme violant les droits et les libertés fondamentales de
l'homme ainsi que la protection des données privées, a été jugée
anticonstitutionnelle par la Cour constitutionnelle macédonienne, qui en a
annulé les dispositions contestées.
C'est dans ce sens aussi qu' Intimité communiste, permettant une
confrontation critique avec le passé communiste en vue d'un présent
postcommuniste plus viable, s'érige en geste de résistance critique d'autant
plus important à une époque où, en Macédoine, l'invocation de plus en plus
fréquente du passé (lointain ou récent)
ne semble plus être qu'une manipulation dans des buts politico-mythologiques et
surtout, et avant tout, pour masquer le présent.
2.4. Résister à l' amnésie culturelle et politique
À sa sortie, Intimité communiste a provoqué beaucoup de réactions
publiques et médiatiques, son sujet étant particulièrement sensible, certaines
personnes et figures importantes de la vie culturelle et politique macédonienne
contemporaine y étant directement citées et dénoncées comme ayant coopéré avec
la police secrète communiste. Cependant, selon l'auteure, le livre se refuse
absolument à être une sorte de vengeance dans l'esprit petit-bourgeois et son
but n'est aucunement de proposer une « liste de personnes à abattre »
pour ainsi dire, mais, au contraire, de proposer une analyse critique de
l'ingénierie qui a permis la mise en œuvre de la version macédonienne du
communisme. Koteska argumente que les nombreuses réactions publiques à la
sortie du livre prouvent le besoin des gens de parler du communisme, car le
communisme a été une sorte de sujet tabou ou un sujet non suffisamment élaboré
dans la Macédoine postcommuniste.[34]
Le problème n'étant pas abordé ni traité, cela a créée des « poches traumatiques »
chez les gens. C'est justement pour résister à une « amnésie culturelle et
politique », où soixante-dix ans d'histoire ont été effacées de la mémoire
collective des gens, que ce livre a été écrit, son objectif étant celui d'affronter
et de questionner le communisme, non pour forcer les gens à oublier leurs
souvenirs heureux, mais pour les aider à les rendre plus complexes, et à
pouvoir les placer à côté des souvenirs de ceux, parmi eux, qui ont été moins
heureux.[35]
3. Intimité communiste et justice transitionnelle
3.1. Communisme et lustration
2008, l'année de la
publication d'Intimité communiste est celle où le Parlement macédonien a
adopté la loi sur la Lustration.
Après la chute du bloc communiste
entre 1989 et 1991, dans les pays postcommunistes, la lustration désigne la politique de
réduction de la participation des anciens collaborateurs et informateurs des
services secrets communistes au sein du Gouvernement et aux fonctions publiques
et politiques. Le
débat sur la lustration a été lancé pour la première fois par le parlement
tchèque en 1991, lorsque celui-ci a été chargé d'établir lesquels de ses
parlementaires avaient été des collaborateurs et informateurs du régime
communiste et de ses services de sécurité d'État. Il est important de souligner
que la lustration représentait plutôt un
moyen de dénonciation et condamnation morale et publique qu'un moyen de
poursuite pénale. Il s'agit d'un processus d'affrontement au passé récent, souvent
qualifié de justice transitionnelle. Dans ce sens, la lustration est aussi liée à l'ouverture
des archives communistes au public, processus qui a été terminé dans la plupart
des pays ex-communistes, mais qui vient seulement de commencer d'être mis en
œuvre en Macédoine.
Ainsi, les dossiers des services secrets y ont été ouverts aux victimes
et aux membres de leur famille en 2000. La loi
sur la lustration a été votée le 22 janvier 2008 par le Parlement macédonien.[37]
Selon cette loi, la lustration concerne les informateurs de la police secrète,
surtout ceux qui ont surveillé et dénoncé les sujets idéologiquement
inappropriés, ainsi que leurs supérieurs, pour la période entre la fin de 1944
jusqu'à la période de l'adoption de la loi. Selon certains, la lustration
concernerait quelque 15 000 dossiers de personnes
qui ont été suivies, surveillées, maltraitées, emprisonnées, voire même
exécutées comme opposantes au régime.[38]
L'adoption de la loi sur la lustration, en même temps, a provoqué de vifs
débats au sein du Parlement et des membres de l'opposition, ainsi que dans la
société macédonienne, à cause de la crainte que cette première ne soit
instrumentalisée comme arme de vengeance personnelle pour la stigmatisation de
certaines personnes et comme outil de manipulation politique. Malheureusement,
ces craintes sembleraient bien fondées, car, pour le moment, la lustration en
Macédoine semble être une « chasse aux sorcières » sans véritable
crédibilité. En effet, dès le début de la mise en œuvre de la lustration, les
scandales politiques et accusations mutuelles des principaux partis politiques
ont abondé. De nombreux dossiers sont d'un seul coup - littéralement - tombés
du ciel, incriminant différents hommes politiques ou hauts fonctionnaires
d'État.[39]
De plus, la procédure elle-même semble avoir perdu sa fiabilité, beaucoup de
ces dossiers d'accusation ayant été affichés comme des faux. Récemment, au
début de l'année 2011, la Cour pénale vient de condamner un ancien agent
secret, accusé d'avoir falsifié les dossiers inculpant des hauts membres du
parti politique albanais actuellement au pouvoir, DUI.[40]
Au début de l'année 2011, le parlement macédonien -pendant le boycott des
membres de l'opposition - a adopté une
version amendée de la loi sur la lustration, proposée par les partis politiques
dirigeants, VMRO-DPMNE et DUI,
demandant le prolongement de la période de lustration jusqu'en 2019 et
l'élargissement de la liste de personnes et fonctions pouvant faire objet
d'investigation par la commission de lustration,[42]
dispositions contestées dont certaines avaient été déjà abolies par la Cour
constitutionnelle macédonienne en 2010.
3.2. Pour une justice transitionnelle macédonienne
Jasna Koteska, elle-même, fut une des partisanes les plus actives de la
lustration dans le débat public macédonien. Le dossier de son père, qu'elle a
vu pour la première fois en 2000, fut la première étape d'une profonde
réflexion et recherche documentée sur le communisme qui dura quatre ans,
résultant avec la publication d'Intimité communiste. Sorti à une époque où, malgré l'adoption de la
loi sur la lustration, les archives des services secrets de la période
communiste n'étaient pas encore rendues publiques - comme elles ne le sont
d'ailleurs pas encore aujourd'hui, restant accessibles seulement avec de
grandes restrictions,
ce livre représente aussi un plaidoyer pour l' ouverture totale des dossiers
des 15 000 personnes et de leurs familles qui ont été surveillées durant le
communisme.[44] Dans ce
sens, Intimité communiste est écrit avec la revendication claire d'une
justice transitionnelle macédonienne.
A l'inverse de la lustration en œuvre en Macédoine, transformée en
« chasse aux sorcières », pour laquelle on a créé une commission
chargée d'examiner les dossiers et de faire les listes des informateurs, et
provoquant la paranoïa chez les gens, l'auteure d' Intimité communiste
s'engage pour une lustration qu'elle qualifie de non révolutionnaire et légale,
qui commencerait par une ouverture totale au public des archives de la
Macédoine communiste. Selon elle, cette ouverture, permettant une vue non
restrictive du passé est la seule solution qui s'est montrée fonctionnelle en
pratique - par exemple, en ancienne RDA
-, et serait la façon la plus intelligente pour arrêter de subir les dommages
du passé. Car, lorsqu'un petit groupe de personnes continue à avoir seul accès
au passé (à l'instar de la commission chargée de la lustration macédonienne),
ce dernier peut être plus facilement manipulé ou abusé.[46] Aussi, dans le cadre d'un débat
public, organisé au mois d'octobre 2010, par l'association des Citoyens pour
une Macédoine citoyenne (GEM), Koteska, tout en disant que la lustration
macédonienne lui semble vraiment être arrivée trop retard, affirme encore une
fois sa forte conviction que la publication non sélective et absolument
transparente des dossiers (leur mise sur internet même – dans l'esprit aussi de
Wikileaks) est très très importante, pour lutter contre la logique et les abus
de la surveillance et des services secrets.[47]
3.3. Contre la tyrannie de l'esprit de bourg
Publié à une époque où, en Macédoine, le gouvernement conservateur de
droite de VMRO-DPMNE revendique la lutte contre les « anciens
communistes », Intimité communiste cultive des grains de résistance
essentiels face au danger d'abus de ses propos, c'est-à-dire au danger que sa
critique du communisme ne soit reprise et manipulée uniquement pour servir à
glorifier l'option politique et idéologique du parti au pouvoir. Comme
l'auteure le dit elle-même : « Je ne veux pas que mon livre soit
instrumentalisé pour des buts politiques, Ce livre n'est ni de gauche ni de
droite, c'est un livre sur une époque révolue. Les informateurs et les
persécuteurs de mon père font aujourd'hui partie des deux plus grands partis
politiques macédoniens, de partis plus petits ou d'aucun – il n y a pas de
distribution logique, il n y a pas d'image manichéenne, le passé est très
complexe et c'est pourquoi il doit être appréhendé très attentivement». [48]
Dans ce sens, comme nous l'avons déjà vu, l'outil principal pour la
décortication du communisme macédonien de Koteska est aussi le livre de Radomir
Konstantinović, La philosophie de l'esprit de bourg,
d'où l'auteure puise la figure de la tyrannie de l'esprit de bourg qu'elle
dénonce comme continuant de faire mouvoir la société contemporaine
macédonienne, ainsi que son establishment politique et culturel actuel.[50]
C'est pourquoi, dans sa revendication de justice transitionnelle, Koteska
refuse d'utiliser les mêmes méthodes vulgaires avec lesquels opère justement
l'esprit petit-bourgeois.
Ainsi, son objectif n'est pas de dénoncer les informateurs des services secrets
communistes, mais de s'adresser plutôt aux victimes de ces derniers, ceux qui
ont été surveillés par eux.[52]
Se situant, finalement, dans le contexte géo-politique mondial, et en
dénonçant les excès de la société de consommation et de l'ère de la
surveillance généralisée, la critique contenue dans le livre de Koteska pointe
aussi le danger de la reproduction possible des solutions idéologiques du
communisme dans différentes formes de gouvernance politique.
4. La parenté communiste[54]
4.1.Sujets impurs du communisme
Intimité
communiste s'érige également en geste de
résistance contre les mécanismes d'exclusion communistes de ceux qui étaient
considérés comme étant les sujets impurs. Un de ses mécanismes était justement
ce que nous appréhenderons comme la famille communiste, dont nous allons tenter
ici de déconstruire la généalogie patriarcale.
Bien que la doctrine
officielle du communisme ait déclaré l'égalité des genres et questionné les
rapports traditionnels entre le public et le privé, en pratique et dans sa
structure profonde celui-ci a très souvent été dénoncé comme un régime
paternaliste. Même si la doctrine communiste semblait réorganiser les
structures et rôles familiaux à un autre niveau, son paternalisme correspondait
en même temps aux formes et divisions patriarcales les plus traditionnelles. En
effet, dans ce régime paternaliste et autoritaire, la figure principale était
le père, le patriarche suprême de l'État communiste, incarné dans les figures
de Lénine, Staline, Tito, etc. et dans lequel la métaphore de la parenté
collective joue un rôle clé. Ce régime paternaliste et patriarcal mettait
l'accent sur un lien et une dépendance quasi-familiale entre « le père et
ses enfants » communistes. C'est ce phénomène que Katherine Verbery, dans
son livre Qu'est-ce qu'était le socialisme et qu'est-ce qui vient
ensuite ?,[55]
analyse sous le terme de « socialisme paternaliste » dans lequel les
sujets n' étaient pas présumés être politiquement actifs, comme cela est le cas
dans le concept de citoyenneté: ils étaient supposés être des récepteurs
reconnaissants – comme des petits enfants dans une famille – des bénéfices dont
leurs dirigeants décidaient à leur place. C'est ainsi que le régime
paternaliste communiste produisait la dépendance de ses sujets et non pas l'action cultivée par la société civile ou
la solidarité de l'etnonationalisme.[56]
Le communisme a hérité du collectivisme et du patriarcat de la société rurale
traditionnelle dans laquelle il s'est implanté et dans laquelle l'individu
était conçu seulement en tant que membre d'une famille patriarcale ou en termes
de parenté. Le patriarcat représente ainsi un autre aspect important de
l'autoritarisme communiste où la dominance masculine, la dominance du père est
en œuvre. Les sujets conformes du communisme s'identifient au père/au parti.
Plus encore, dans le contexte de la Fédération yougoslave socialiste, le
patriarche du parti communiste, Tito, est l'autorité parentale et paternaliste
- idéologique et culturelle - suprême qui surplombe et remplace même la
parentalité et paternité biologique - et donc d'une certaine façon impure (car
corporelle), il est celui qui peut adopter et élever tous les enfants, les
petits pionniers de Tito. Ainsi, à l'époque du communisme, la famille
biologique, nucléaire, le berceau traditionnel de la vie privée, s'efface
devant la famille collective adoptive qui est incarnée par le parti communiste.[57]
En transformant aussi les divisions entre la sphère privée et publique du capitalisme
du 19ème siècle, le communisme a usurpé certaines fonctions et responsabilités
patriarcales.
En prenant le contre-pied
de cette famille communiste collective et du père de tous, Jasna Koteska, dans Intimité
communiste, convoque le géniteur Jovan Koteski, non pas comme poète, idole,
mais comme son père biologique, et dans ce sens justement, impur (car maculé
par le sang de la consanguinité), personnel et unique: « Je n'ai
pas écrit ce livre pour réhabiliter la place de l'œuvre de mon père dans le canon
littéraire. (…) Dans le livre, mon père n'est pas un père littéraire mais
biologique».[58]
Ce soulignement de la
parenté, de ce lien biologique inaliénable y est aussi un geste de résistance à
l'instar d'Antigone face à l'État et à Créon. C'est une résistance face à la
destruction de sa famille par le régime communiste, faisant intrusion au cœur
même de l'intimité.
4.2. La revendication d'Antigone
C'est dans ce sens aussi que nous lisons Intimité communiste
comme un geste (féministe) de résistance de l'auteure - la fille de
l'Intimiste, ce sujet féminin politiquement incorrect et « biologiquement
impur » face à la société macédonienne communiste (mais aussi
postcommuniste) provinciale et à ses « nettoyages » sacrificiels.
Ainsi, l'accent que Koteska met dans son livre sur ce qui a été banni par le
système, sur la filiation impure, sur l'intimité et l'ambivalent, le trauma et
la psychanalyse, le corps et le corporel, et par là sur la féminité et la
différence, est aussi un acte de résistance face au „projet sanitaire“
communiste et sa tyrannie du public et du collectif, face son unique sujet
monopartiste, transparent et incorporel.
Plus encore, le livre clé qui a initié l'écriture d'Intimité
communiste est Antigone : la
parenté entre vie et mort[59]
de Judith Butler, une des auteures essentielles de la théorie du genre.[60]Partant d' Antigone et de son droit de deuil
non reconnu par l'État, Butler développe
une réflexion sur les sujets vivants dans les non-lieux de la société, ceux
dont la reconnaissance et l'autoreconnaissance sont rendues précaires, voir
impossibles, et dont le deuil n'est pas reconnu comme légitime. Ainsi, le
passage décisif du livre de Butler pour l'écriture d'Intimité communiste,
cité par Koteska, a été le suivant: „Antigone récuse la loi qui refuse de
reconnaître publiquement son deuil, et en cela elle anticipe les situations de
ceux qui n'ont pas pu faire clairement leur deuil – situations que les malades
du sida connaissent très bien. A quelle mort vivante ces gens sont-ils
condamnés?“. Butler
témoigne ainsi des sujets non-normatifs, forcés à mener une existence retirée
de la vie et de ses normes reconnues, souffrant de la douleur prolongée de
l'exclusion sociale, punis pour leur non-conformité par une vie dé-réalisée,
n'étant ni entièrement (socialement) vivants ni entièrement (physiquement)
morts.[62] Prolongeant cette réflexion dans ses
livres Precarious life : The powers of mourning and violence et
Frames of war : when is life grievable ?
écrits après les évènements du 11 septembre, 2001 et témoignant de la
guerre en Irak et Afghanistan, Butler demande quelles sont les vies, dans notre
monde, qui méritent d'être pleurées, quel deuil peut être fait publiquement et
lequel non? Reprenant ces questions importantes, Koteska met son deuil et ses
traumatisme intimes non reconnus et amnésiés par le système communiste au cœur
de se réflexion : « Je voulais me réconcilier pour moi-même avec le
passé de ma famille. Je sentais une perte enfuie, un deuil non reconnu.
Imaginez un instant comment vit une personne sous le fardeau de la douleur qui
ne peut être exprimée, la perte dont le deuil ne peut être fait
publiquement? ».[64]
Dans Antigone : la parenté
entre vie et mort,
Judith Butler pose aussi la question de savoir quel genre de parenté et de
relation intimes sont éligibles pour la légitimation d'État. Elle y analyse la
revendication d'Antigone et sa parenté impure, multiple et fluide (Antigone
étant en même temps la sœur et la fille d' Œdipe), ainsi que sa fraternité
incestueuse, justement comme dévoilant, de façon critique, le caractère
contingent des liens de parenté.
Plus encore, les liens familiaux quasi indéfinissables d' Antigone compliquent
et subvertissent la relation entre l'État et la famille et défient les
structures de parenté traditionnelles.
Suivant l'analyse butlérienne du personnage d'Antigone, dans laquelle
cette dernière relie la revendication courageuse de l'héroïne incestueusement
ambivalente aux revendications de ceux dont les liens ne sont pas socialement
et publiquement reconnus et prisés comme relations de parenté propre/conforme, Intimité
communiste de Koteska finalement met en question la parenté
(post)communiste patriarcale, provinciale et normativement violente, et s'ouvre
vers d'autres types de parenté et
(af)filiation, en s'apparentant aussi à ceux qui, dans le sens d' Antigone : la
parenté entre la vie et la mort, ne font pas partie de la «famille», les
exclus, impurs, différents, étrangers, homosexuels, etc., et, de là, vers
d'autres formes d'opposition et d'action politiques.
Conclusion
C'est dans ce sens, qu'à la fin de cette analyse nous lisons Intimité
communiste comme une lettre au père
adressée aussi au père dénaturé, voire „déparenté/défilié“, au sujet abject et
exclu du communisme: le dissident intimiste. Cette lettre au père non typique,
qui s'écarte du canon (littéraire) traditionnel où la généalogie est avant tout
androcentrique et le nom se transmet du père au fils, s'écrit comme une lettre
de la fille „bâtarde“ au nom du père illégitime, humilié, excommuniée, destitué par le système, et (dé)génère une
réfiliation différente. Finalement, Intimité communiste de Jasna Koteska
s'élève comme un geste de réconciliation - avec son propre trauma, son passé,
et avec son père – dans lequel la fille-mère „adopte“ le père déchu et la
filiation est guérie, restaurée.
Bibliographie
Angelovska, Despina (2009), « Kon Komunistička intima od Jasna Koteska (Templum, 2008) » in Identities,
Volume 7, No. 1/2, Winter , 251-257.
Butler, Judith (2000), Antigone's claim : Kinship between life
and death, New York : Columbia University Press.
Butler, Judith (2004), Precarious life : The powers of mourning
and violence, London, New York : Verso.
Butler, Judith (2009), Frames
of war : when is life grievable ?, London, New York : Verso.
Butler, Judith (2002), « Is
kinship always already heterosexual ? » in Différences,
13(1):14-44.
Butler, Judith ; Salih, Sara
(2004), The Judith Butler reader, Oxford : Blackwell Publishing.
Konstantinović, Radomir (2000), Filozofija na palankata. Skopje :
List.
Koteska, Jasna (2006), Sanitarna
enigma, Skopje : Templum.
Koteska, Jasna (2008), Komunistička intima, Skopje :
Templum.
Koteska, Jasna (2006), « Against the Pre-archival Mentality
(On the book The Female Side of the Story: The Crisis in Macedonia in 2001
by Aleksandra Bubevska and Miruse Hoxa, Evrobalkan Press, 2006) in Blesok
n. 49, July-August [http://www.blesok.com.mk/tekst.asp?lang=eng&tekst=847], 03 Janvier 2011.
Koteska, Jasna; Gelevski, Nikola (2010), « Sanitarna enigma (ili
Našata lustracija 2) », Débat public avec Jasna Koteska, 07 10 2010, club
GEM, Skopje [ http://okno.mk/node/7598], 01 Février 2011.
Verdery, Katherine
(1996), What Was Socialism, and What Comes Next?, Priceton, New Jersey : Priceton
Universitty Press.
Wilmer, S. E. ; Zukauskaite, Audrone (eds.) (2010), Interrogating
Antigone in Postmodern Philosophy and Criticism, Oxford : Oxford
University Press.
Švarc, Rihard (ed.) (2008), Drugiot
pokraj mene, Antologija na raskazi i esei na pisateli od Jugoistočna
Evropa. Skopje : Templum.
[33] Cf.
« Ustavniot sud go tamponira golemoto uvo » in Nova Makedonija,
n. 22 159, 16 12 2010; Toni Angelovski, « Ustavniot sud go zauzdi
prislušuvanjeto », in Vreme, n. 2094, 21.10.2010.
[http://www.time.mk/read/NONE/a891b94afa/index.html], 03 Mars 2011.
Post a Comment